Tusker

Il était grand comme une montagne, fort comme un baobab ! Même le Kilimandjaro le jalousait. Lorsqu’il déambulait la savane de ses pas lents et paisibles, ses longues défenses démesurées griffaient le sol. Elles y déposaient leurs empreintes dans de profonds sillons. Les vieux sages disent que c’est ainsi qu’il parlait à la terre.

 

Il était si puissant qu’il ne craignait rien ni personne, chacun s’écartait humblement sur son passage. Il avait pour lui le siècle et l’éternité…

 

Ce matin-là la lumière était grise. Les oreilles déchirées du géant se découpaient sur le ciel désespérément triste et sombre. Gargantua avait bien senti puis aperçu les deux silhouettes au loin mais il ne s’est pas méfié !

La première balle du chasseur ne le tua pas instantanément ! Elle manquait le cerveau de quelques millimètres. Le pachyderme s’affala sur les genoux. Dans une dernière lueur de conscience et de vie, il essayait de comprendre : quelle bête monstrueuse si bruyante était-elle capable de le toucher et de l'abattre ainsi ?

 

Le tireur éprouvait une certaine jouissance à entendre le long râle de la bête qui meurt. L’agonie couvrait un autre cri que bien sûr le chasseur n’entendit pas : le hurlement de douleur et de désespoir de l’Afrique, celui d’une mère à qui on arrache son dernier enfant.

 

Le second projectile parfaitement ajusté lui ôtait la lumière et la vie. Il aurait pourtant voulu arpenter une fois encore sa belle savane blonde inondée de soleil et sentir la douce caresse et la chaleur des premiers rayons après la fraicheur de la nuit.

 

Aujourd’hui le Kilimandjaro pleure ses compagnons disparus. Il ne reste rien des grands Tuskers, si ce n’est quelques images dans de vieux livres d’images… et les vulgaires photographies de leurs cadavres et de leurs assassins sur le mur des salons des chasseurs de trophées.

Et lorsque la poussière et le temps auront fini leur besogne, plus même le nostalgique souvenir d'un sillon sur le sol…