Le tableau des Dieux

Fin avril 2019, je signais l'une des photographies les plus stupéfiantes de ma carrière.
Cette image était si improbable que beaucoup d’internautes doutèrent de son authenticité, le terme de « Photoshop » à fusé parfois avec une pointe d'humour, parfois avec ironie ! Si le fichier fut bien développé comme je le fais toujours via mes logiciels usuels, ce n'est comme toujours qu'à la marge, la photo originelle RAW brute n'est strictement jamais travestie. Elle n'est pour le coup d’ailleurs pas même recadrée.

Je me souviens…
 

Nous étions partis avec Tim pour le game-drive de l'après-midi, comme d'accoutumé un peu après 16 heures. Nous avions l'info d'un guépard solitaire qui traînait son élégante silhouette vers Bilashaka, à 30 minutes du camp. Tous les safaristes du moment étaient déjà en route...

Le ciel était tourmenté, les orages localisés n'allaient plus tarder à gronder leur colère. Arrivé sur place, près de fombi-fombi pour ceux qui connaissent, nous remarquons un phénomène étrange dans le ciel : un arc-en-ciel, ou plutôt un embryon d'arc-en-ciel, juste une petite tâche, ornait le ciel au Sud. D'arc il n’y en avait point, juste une petite tâche merveilleusement colorée. Cela étonne Tim, qui en a vu pourtant d'autres, il me le fait remarquer. Avec un tel coup de pinceau improbable, il me faudrait un sujet en adéquation. Et Vite. Cela ne va surement pas durer ! Il y a bien un trio d' éléphants à proximité, mais il est dissimulé en partie par la dense végétation ; je ne le sens pas.

Tim reçoit alors l'appel de Simon Chebon qui vient tout juste, l'œil du maître, de localiser le guépard en phase de chasse. Mon fidèle chauffeur-guide de bientôt 30 ans m'en informe et s'apprête à redémarrer le moteur du Land, il est vrai que c'était l’objectif du moment... Je lui oppose un non, pas tout de suite... Aux jumelles, je viens de repérer une girafe mâle solitaire, elle-même au cœur du bush, à deux ou trois-cents mètres, mais dont le cou émerge de la végétation.
Et si ... ?

Je demande à Tim de prendre sa direction. A sa hauteur, à une vingtaine de mètres, j'observe l'animal, l'environnement, la scène. Le gigantesque mammifère remarque notre intérêt... et, non pas qu'il soit farouche, s'éloigne de quelques pas.

Bon, j'ai le choix : une photo tout juste banale, pas de photo du tout ou... tenter un coup ! Je dirige alors Tim, en amorçant un large arc de cercle pour éviter de prendre directement la direction droit sur la girafe avec la crainte de l'effaroucher. L'idée fut de la rejoindre au plus près, de façon à aligner, autant que faire se peut, l'arc en ciel, la tête du géant et l'axe optique de l'objectif. Utopique, surement ! cela ne fonctionna pas à la première tentative, nous essayons une fois encore…

Lorsque nous sommes calés à 7 ou 8 mètres, j'avale ma salive et je prie les dieux du Mara de m'octroyer les quelques seconds nécessaires pour la prise de vue, tant l'image que j'observe dans le viseur est fantasmagorique ! Que l'arc-en ciel s'estompe ou s'éteigne, que la girafe se déplace ne serait-ce que d’un demi-mètre ou que je paramètre mal les réglages subtils et je n'aurais plus que mes yeux pour pleurer.

Les paramètres justement : je comprends de suite que je ne peux pas poser à la fois pour la girafe et pour la lumière divine du ciel. Je choisi, bien évidemment, l'option ciel et contre-jour franc : je sous expose d'emblée de - 2 IL. Mais est-ce le bon réglage ? Je ne suis sûr de rien ! Quasiment d'instinct, j'induis rapidement le mode bracketting, qui me permet d'encadrer l'exposition idéale. 5 vues, correction d'expo - 2 IL donc, au pas incrément de 1/3 de IL... Puis je peaufine le cadrage, vertical bien sûr, le sujet l'impose, l'équipement photographique confortablement posé sur une tête vidéo fluide. Les rafales de 5 vues claquent dans l'air désormais humide !

Étais-je béni des Dieux ce jour-là ? L'arc-en-ciel se saturait plus intensément encore lorsqu’un duo de pique-bœufs arrivait sur le long cou pour faire leur boulot de pique-bœufs, saisir et ingurgiter les parasites qui s'installent sans-gêne sur l'animal. Quelques secondes supplémentaires où la girafe, parfois agacée secouait la tête, ce qui induisait décollages et atterrissages inopinés.

Puis, la magie, elle est toujours éphémère, s'est éteinte brusquement, en un claquement de doigt, avec l'entrée en scène d'un sombre nuage...

Quelques amis safaristes, qui observaient la scène au loin, et qui n'était pas évidemment dans le même axe, se demandaient, ils me l'on dit plus tard, ce que je trouvais de si particulier à cette girafe banale.


Seuls les Dieux du Masai-Mara, un chauffeur guide masaï et un photographe chanceux connaissent la réponse...